Psychologie des profondeurs et parapsychologie
La science et le paranormal. Le Ier Colloque Iternational de Parapsychologie (Utercht 1953) – Le entretiens de Saint-Paul de Vence (1954);
 pagg. 199-205
di Emilio Servadio

L’étude de la parapsychologie sous 1’angle de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse a débuté en 1922, avec l’article de Freud Rêve et Télépathie. Dans cet essai, Freud suggérait, pour la première fois, qu’il était possible, en analysant le rêve selon les principes de la psychanalyse, d’y déceler un élément paranormal, ou plus généralement, comme nous le dirions aujourd’hui, qu’un facteur paranormal pouvait être soumis aux déformations ordinaires du “processus primaire”.
Suivant cette hypothèse de travail, plusieurs chercheurs ont essayé d’étudier les phénomènes paranormaux, plus ou moins comme si ceux-ci étaient des faits appartenant à la psychologie normale et à la psycho-pathologie. Parmi ces chercheurs, je ne citerai que Istvan Hollos, Jan Ehrenwald, Jule Eisenbud, Nandor Fodor, et moi-même. J’y ajouterai quelques articles de Freud, tous publiés dans les années 1922-1933. Les domaines qui furent trouvés particulièrement propres à cette étude étaient la télépathie, la clairvoyance, la précognition, la transe, le “poltergeist”, et quelques phénomènes physiques. Récemment, plusieurs psychiatres et psychanalystes se sont entrainés à reconnaître plus précisément la présence de phénomènes psi dans leur travail quotidien. Parmi eux, je citerai Burlingham, Pederson-Krag, et, plus récemment, Gillespie et Rubin.
En 1953 le Dr. George Devereux a réuni et publié, sous le titre Psychoanalysis and the Occult, plusieurs articles de membres de l’Association psychanalytique internationale, traitant tous de données provenant soit de l’analyse de malades, soit de leurs expériences personnelles. Le livre comprend 31 essais, et représente certainement une étape importante dans notre travail de recherche. Bien que l’éditeur ait fait un effort évident pour rester impartial, on ne peut manquer d’être impressionné par la richesse de la documentation réunie, et par les solides fondements épistémologiques des démarches faites pour envisager les phénomènes psi d’un point de vue psychanalytique.
Je suppose que tous les membres de cette conférence sont familiarisés avec ce point de vue. Il peut, cependant, être utile de rappeler qu’il n’est légitime que si l’on admet les affirmations suivantes de la psychologie dynamique moderne: le concept d’une structure mentale, comprenant des processus et des conflits inconscients; la reconnaissance des caractéristiques d’une région inconsciente de l’esprit et de ses mécanismes particuliers: refoulement, déplacement, condensation, régression, symbolisme, etc.; la reconnaissance d’une espèce primitive de pulsion inconsciente; la connaissance que l’inconscient peut être exploré par des techniques spéciales dans des buts thérapeutiques ou autres.
A mon avis, l’étude des phénomènes réputés psi du point de vue psychiatrique et psychanalytique a déjà donné d’importants résultats.
Une grande clarté a été jetée sur les facteurs émotionnels qui favorisent les phénomènes psi. Suivant une idée suggérée il y a quelque 20 ans, par Hollos et par moi-même, il a été reconnu par plusieurs chercheurs, et plus particulièrement par Ehrenwald, que les phénomènes psi semblent seulement se produire lorsque certains mécanismes de défense psychologique ou psychophysiologiques destinés à intégrer ou à protéger notre vie émotionnelle, fonctionnent mal, permettant ainsi quelquefois le rétablissement d’exutoires ou de moyens de communications plus primitifs. Cette condition peut même être provoquée artificiellement, comme en de nombreux cas d’expériences télépathiques. Il n’est pas nécessairement besoin que cet affaiblissement de nos mécanismes de défense soit dramatique ou poussé à l’extrême: il peut se réduire à la concentration de notre vie émotionnelle sur un point particulier, comme le suggérait Carington, dans son examen théorique des conditions préparatoires aux expériences télépathiques. Un chapitre important des recherches futures sous ce rapport devrait être, à mon avis, le conditionnement individuel des phénomènes psi, tel qu’il peut se révéler chez des sujets isolés: c’est-à-dire l’étude de structures mentales spéciales, individuelles, et de leurs modifications particulières en relation avec les événements psi.
Il est également devenu de plus en plus évident que les déformations bien connues (déplacement, “glissements”, inversions, condensation, représentations symboliques, etc.) des phénomènes psi, ne constituent ni une énigme insoluble, ni une barrière insurmontable. Quiconque est plus ou moins familiarisé avec les lois et les mécanismes très particuliers du processus primaire, sait fort bien que c’est là précisément ce qui arrive toujours dans ces régions de l’esprit humain. J’avoue que chaque fois que j’entends dire qu’un phénomène psi spontané (par exemple, un cas de télépathie au cours du sommeil) s’est produit sans déformation apparente, je suis plus surpris que dans le cas contraire, et plus porté à croire qu’une “élaboration secondaire”, préconsciente ou inconscient, sinon un mensonge caractérisé ou un acte de “wishful thinking” a pu intervenir. Je pense que tout psychiatre ou psychanalyste, mis en face d’un cas trop net, partage mon sentiment.
Il y a encore un autre avantage à ne jamais négliger le point de vue de la psychologie des profondeurs, lorsque nous avons affaire à des cas réputés paranormaux. Avant même que Freud n’ait montré à quel point les désirs de la première enfance et la pensée magique se dissimulaient derrière l’activité mentale consciente, allant jusqu’à faire obstacle à la pensée rationnelle et soumise au réel, quelques chercheurs ont noté la puissance que “l’attraction de l’occulte” pouvait avoir sur des esprits scientifiques. Je n’ai besoin de rappeler sur ce point que cet essai célèbre de Walter Franklin Prince, The Enchanted Boundary. Aujourd’hui, nous connaissons mieux les obstacles inconscients qui s’opposent à notre étude, et nous devons nous préparer à leur faire face, même si – ou plus exactement au moment précis où – nous sommes consciemment persuadés de les avoir éliminés. Sur ce point, je suis, bien entendu, les mises en garde de Freud et d’autres: les techniques minutieuses ou les précautions peuvent être des garde-fous de pure forme, que notre désir inconscient peut franchir, à notre insu. Les parapsychologues peuvent être portés à se tromper eux-mêmes inconsciemment, exactement comme les médiums ou les voyants. Cet appel à la prudence fondé sur des résultats psychologiques bien établis a été fortement exprimé par George Devereux dans son introduction et dans sa conclusion à Psychoanalysis of the Occult. La solution serait naturellement que chaque parapsychologue soit sans cesse en alerte vis-à-vis de ses propres erreurs, tout autant qu’à l’égard des diverses formes de mensonges conscients et inconscients qu’il attend de témoins ou de sujets.
D’autre part, l’argument ad homínem que certains psychologues ou psychanalystes ont parfois utilisé contre les parapsychologues, à savoir que l’intérêt de ces derniers pour les phénomènes était lui-même une preuve de leur adhésion inconsciente à des niveaux infantiles de développement mental, cet argument doit être rejeté non seulement comme entaché de partialité, mais aussi comme antiscientifique, puisqu’il est impossible de prouver ou de démentir qu’une personne qui admet l’existence des phénomènes parapsychologiques est, pour cette seule raison, névrosée ou psychopathe. Ceci peut être vrai ou faux selon les cas, mais pour des raisons qui comprennent des données psychologiques beaucoup plus nombreuses que la seule acceptation ou le seul rejet de certaines affirmations controversées. Il serait beaucoup plus profitable à mon avis, d’étudier les processus particuliers – pas nécessairement pathologiques – qui conduisent des personnes sérieuses à s’occuper de parapsychologie. Mais cette étude, comme le remarque Devereux, serait seulement une contribution à la psychologie des professions, non moins légitime que notre recherche des mobiles profonds du désir de devenir dentiste, chimiste, ou avocat.
En parcourant les articles réunis par Devereux, on est frappé d’un fait: les analystes qui ont étudié récemment le problème parapsychologique s’accordent tous sur l’importance des phénomènes psi, tant pour la pratique psychanalytique que pour une meilleure intelligence théorique du fonctionnement de l’esprit.
Il semble tout à fait improbable que notre découverte que le matériel mental peut être obtenu ou affecté par des canaux extra-sensoriels, amène des changements capitaux dans la théorie psychanalytique des mécanismes mentaux. Il n’en reste pas moins évident que, comme Eisenbud, Ehrenwald, Gillespie, et moi-même avons essayé de le montrer, l’hypothèse de la télépathie peut être un instrument efficace dans le travail analytique: la nier, au contraire, ou n’en pas tenir compte, peuvent mener à une sous-estimation ou à de futiles acrobaties mentales de la part de l’analyste. De plus, les implications théoriques de l’abandon éventuel d’une des principales théories de la psychiatrie moderne, celle de l’unité psychosomatique, sont presque imprévisibles. Je crois que ces implications constituent le principal sujet du prochain livre d’Ehrenwald New Dimensions of Deep Analysis, dont son rapport doit donner le résumé.
Mes opinions personnelles sur l’étude psychanalytique ont fait l’objet d’articles, dont le premier fut «Psychoanalyse und Telepathie» paru dans la revue Imago en 1935, et récemment réimprimé dans une traduction anglaise dans 1’anthologie de Devereux. Dès 1932, cependant, j’avais tenté une interprétation psychanalytique de prétendus (et à mon avis, bien prouvés) phénomènes de médiumnité physique. Plus récemment, dans un compte rendu adressé au premier congrès italien de parapsychologie, (Sienne, 1949), j’ai exposé quelques idées directrices qui, à mon avis, sont inévitables, si 1’on garde sous les yeux plusieurs faits importants.
Comme je l’ai déjà souligné, toute personne qui a étudié les phénomènes psi sous l’angle de la psychologie des profondeurs a reconnu le rôle capital des facteurs émotionnels dans les phénomènes de cet ordre. Ce rôle, je puis ajouter aujourd’hui, ne se réduit pas à celui d’éléments aussi évidents que l’enthousiasme, l’appréhension, l’ambition, l’esprit de compétition, le désir de récompense, etc. Des exemples choisis au hasard parmi les cas analytiques contenus dans l’anthologie de Devereux montrent que la coloration émotionnelle des phénomènes psi comprend aussi des représentations inconscientes appartenant aux niveaux de développement primaire. Dans le cas que moi-même je rapportais dans mon article, «Psychoanalyse und Telepathie», le facteur émotionnel était lié à la scopophilie et à l’exhibitionnisme. Ces caractères sont encore de première importance dans les deux premiers cas rapportés par Gillespie, tandis que dans le troisième, des craintes de castration entrent en jeu. On trouve dans les cas rapportés par Eisenbud, Pederson-Krag, Fodor, Rubin, etc., des représentations oedipiennes, sado-masochistes, scathologiques, orales, etc. Bien entendu, ces facteurs émotionnels ne peuvent être reconnus que par des observateurs entraînés, et je reconnais qu’il peut être difficile d’en faire la preuve en dehors de la situation analytique. Cependant, n’oublions pas qu’ici encore un brillant exemple fut donné par Freud, qui reconnut clairement un désir incestueux déformé dans le premier cas présumé télépathique qu’il soumit à 1’analyse. Le rêveur, comme nous le savons tous, n’était pas un malade de Freud.
Des mobiles émotionnels de ce genre existent à l’état inconscient chez tout le monde, avec des variétés individuelles d’intensité et selon des schémas particuliers. Ils ont été fort négligés dans la littérature parapsychologique, négligence qui part d’une répulsion inconsciente, dont on pourrait trouver le parallèle dans la résistance qu’opposent beaucoup de psychologues et de savants à admettre un fait aussi bouleversant que la perception extra-sensorielle. Gillespie a montré combien Carington négligeait les facteurs émotionnels dans sa théorie de la télépathie. Mais il aurait pu étendre sa critique à bien d’autres chercheurs, même parmi les meilleurs.
Comme nous le savons, le caractère irrationnel des émotions et conflits inconscients est lié au fait qu’ils se présentent aux stades primitifs du développement phylogénétique aussi bien qu’ontogénétique, et sont rejetés très tôt dans une région de l’esprit qui n’a aucune relation directe avec la prise de contact du réel, ou les catégories du temps et de l’espace. Dans mon rapport au premier congrès italien de parapsychologie, je disais que le caractère non spatial et non temporel des événements inconscients pouvait avoir un véritable aspect métapsychique, c’est-à-dire qu’il n’était pas forcément nécessaire de le limiter aux frontières empiriques des unités individuelles isolées.
Ceci, entre autres, expliquerait le caractère bien connu des phénomènes psi, qui surviennent surtout par les canaux inconscients, exception faite de leurs aspects finaux ou de leurs étapes, et sont apparemment dégagés des frontières du temps et de 1’espace. Ce trait, cependant, n’a rien dont nous puissions tirer orgueil. La soumission au temps et à l’espace, la reconnaissance consciente de la réalité, sont à l’origine de tout progrès humain. Nous pouvons considérer comme une hypothèse bien fondée que la perception extra-sensorielle pourrait être une caractéristique des espèces zoologiques les plus basses, qui seraient alors, comme quelques chercheurs l’ont imaginé, continuellement enveloppées dans une sorte de vague amalgame extra-sensoriel. Néanmoins, il est tout à fait évident que ceci serait nuisible et contraire au courant d’individualisation qui est une conquête biologique progressive, et que l’on retrouve de plus en plus net au fur et à mesure qu’on remonte 1’échelle de l’évolution biologique. Etre un “individu” au niveau le plus élevé de cette échelle impliquerait automatiquement la liquidation de la “synthonie parapsychologique” – au moins à un niveau conscient, tandis que cette synthonie demeurerait en puissance aux niveaux inconscients, et se manifesterait temporairement dans des circonstances spéciales, que nous avons généralement décrites comme des affaiblissements des défenses physiologiques ou psychologiques de 1’ego. En d’autres termes, toutes les fois que nous descendons les niveaux biologiques supérieurs et conscients, et “régressons” aux stades inférieurs de l’individualisation et aux ombres de l’inconscient, le concept d’individualité lui-même s’efface et devient indéfendable.
Or c’est précisément, à mon avis, ce que nous essayons de faire lorsque nous traitons des phénomènes psi. Comme j’ai essayé de le montrer dans mon rapport de Sienne, 1’idée que la personnalité humaine est une unité “fermée” disparaît rapidement à la lumière de la psychologie moderne des profondeurs et de la parapsychologie.
Indépendamment de la recherche parapsychologique, la psychanalyse a déjà indiqué que le prétendu “esprit individuel” est tout, sauf unitaire. Carington le compare humoristiquement à une «fédération de républiques à moitié autonomes». Il n’est pas besoin de rappeler ici que la psychologie jungienne met, plus fortement encore, l’accent sur les aspects trans-individuels de la vie mentale inconsciente, – allant jusqu’à admettre un “inconscient collectif”.
Plusieurs parapsychologues – Ochorowicz, Osty, Mackenzie parmi d’autres – ont également senti l’impossibilité de faire entrer les phénomènes psi dans le cadre d’une conception “monadique” de l’esprit. Ehrenwald compare la personnalité à «la créte d’une vague à laquelle est donnée pendant une seconde une existence individuelle, avant qu’elle ne retombe dans la mer». La “singularité” individuelle consciente serait donc l’aspect supérieur, progressif d’un monde mental, qui en lui même n’est ni “singulier”, ni conscient.
Cette conception est, à mon avis, la seule qui puisse expliquer l'”incongruité” biologique des phénomènes psi. On sait bien qu’à l’exception de quelques cas célèbres de création littéraire ou artistique paranormale (cas qui, soit dit en passant, n’ont pas nécessairement besoin d’être définis comme parapsychologiques ) les phénomènes psi influent peu, ou pas du tout, sur le développement de notre culture. Ils sont en fait infiniment moins utiles que les moyens normaux de communication. Personne ne saurait douter qu’un cas de télépathie, si frappant qu’il puisse être, est infiniment moins commode et moins précis qu’un télégramme ou un appel téléphonique.
L’étude des phénomènes psi est seulement utile parce qu’elle nous permet une meilleure intelligence de l’âme humaine, de ses propriétés et de la vie psychique en général. Mais les faits psi ne nous procureront directement aucune information scientifique ni n’enrichiront nos valeurs culturelles.
Cette incongruité, cette inutilité s’accordent parfaitement avec la conception des phénomènes psi comme manifestations d’un monde psycho-biologique pré-individuel inconscient et primitif. Ceux qui ont prétendu que les phénomènes psi présageaient une condition future, supranormale de la personnalité humaine sont priés de se rappeler la célèbre anecdote de l’Hindou qui, après avoir pratiqué le yoga pendant 20 ans et acquis le pouvoir de glisser sur une rivière sans nager, découvrit enfin que l’esprit de l’homme avait conçu et inventé les bateaux.

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